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Actus

Carte blanche – Le « bad buzz » au détriment du débat public

26/01/2014

Ma chronique et ses suites contre un humoriste français – interdit de spectacle – sur Canal+ aurait pu ouvrir un débat utile sur la
libération de la parole haineuse. Hélas, il n’en fut rien.

Par Myriam Leroy

Publié dans Journalistes n°155 (janvier 2014).

On a rarement l’occasion de se retrouver à la fois
sujet journaliste et objet journalistique, et d’être
confronté en première ligne à la pratique de ses
confrères. Une expérience déconcertante. L’« affaire »
qui fut la mienne fin 2013 a été la 3e de l’année en
matière de buzz, selon une rétrospective de La Libre.
La presse belge a en effet largement relayé les insultes
et menaces qui ont occupé mes fêtes. Pas un mot
en revanche sur le fond du dossier et ses enjeux. Je
vous invite à l’examiner sous l’angle depuis lequel je
l’ai vécu ces dernières semaines.

Fin novembre, sur Canal+, j’utilisais la minute 45’’ qui
m’est allouée hebdomadairement pour étriller un célèbre
humoriste français. Une humeur teintée d’humour
(difficile à ce stade-là de savoir si la forme était idéale,
c’était en tout cas la seule qui m’était permise), qui
avait pour objectif de stigmatiser les discours que
l’homme défend sur scène et sur Internet, dans des
tribunes diffusées par les sites Internet de médias
dont la position officielle est paradoxalement de lui
refuser cette parole.

A peine cette chronique balancée, je recevais d’abord
des dizaines, ensuite des centaines, puis des milliers
d’insultes. J’invite d’ailleurs ceux qui craignent que la
richesse de la langue française s’essouffle à faire une
petite recherche sur @My_L (contrairement à ce qui a
été écrit, je n’ai jamais disparu des réseaux sociaux)
pour se convaincre qu’elle n’a jamais été aussi sémillante
que du côté des « haters » et des « trolls »,
professionnels de l’insulte « à l’humeur beauf et ventripotente
», pour paraphraser le rédacteur en chef de
L’Express, Renaud Revel.

Voilà donc le point de départ de ce qui aurait pu être,
selon mon intention, un débat utile sur la libération de
la parole haineuse. Je n’ignorais pas que j’allais subir
les foudres de quelques fanatiques – même si j’ai
commis une énorme erreur d’appréciation concernant
leur nombre et leur rage – mais j’imaginais que c’était
un mal pour un bien, et certainement pas une raison
de ne pas s’emparer du sujet.

Ce pouvait être l’occasion, pour les médias dont l’espace
d’expression n’était pas aussi contingenté que
le mien, d’aborder la quenelle, ce geste prétendument
d’insoumission au « système », dont nier les connotations
par glissement métonymique et appropriation
collective me paraît aussi honnête que prétendre que
la svastika n’est rien de plus qu’un symbole de bonne
augure chez les Hindous. Ou encore celle d’appréhender
les nouveaux visages du racisme.
Même le marronnier « Peut-on rire de tout ? »
pouvait être envisagé sous un angle intéressant
: « Peut-on se moquer de tout ? ».
Des grandes tragédies de l’Histoire de
l’Humanité ? De ceux qui ont fait de la raillerie
de ces drames leur fond de commerce ?
Voyant les tombereaux d’excréments me
tomber dessus, on pouvait également se
pencher sur le sexisme ambiant, sur le besoin
de hurler d’une partie de la population
et sur ses raisons de le faire…

Bref, les perspectives étaient riches et
multiples. Pourquoi ne m’y suis-je dès lors
pas engouffrée moi-même ? Parce que la
violence des menaces était telle qu’il était
plus prudent de faire le gros dos. Quoi qu’il
en soit, la presse belge a commenté cette
histoire sur un plan uniquement people. Je
ne m’appesantirai pas ici, pour des raisons
de place, sur l’axe « elle l’a bien cherché »,
suivi par la plupart des médias qui semblent
estimer qu’il faut mieux se cabrer
devant l’obstacle pour s’éviter de buter
contre lui.

Mais il n’est pas anodin de constater que
ces articles ont tous été relayés sur un
mode triomphaliste sur un grand nombre
de sites d’obédience saumâtre, ainsi que
via les pages de ceux qui m’appelaient à
« regagner mon four » (sic), et qu’à chaque
fois qu’un nouveau papier paraît, les menaces
reprennent de plus belle, aujourd’hui
encore.

Je n’ignore pas que sur Internet le clic fait
loi et que les rédactions sont confrontées à
son verdict immédiat, pression terrible qui
expose au risque d’une paresse intellectuelle
confinant à la complaisance envers
les grands malades qui siègent en vitrine
des boutiques de buzz.

Simplement, à titre personnel et professionnel,
alors que je tente de faire passer
à mes lecteurs, auditeurs, téléspectateurs
et étudiants le message de Sartre «Vous
êtes responsables en tant qu’individus», je
regrette que malgré les dommages collatéraux
de mon « affaire », celle-ci n’ait servi
à rien.

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