Concentration des médias : le temps de la mobilisation
L’expression revient comme une antienne sinistre chez tous nos interlocuteurs : il y aura de la « casse sociale ». Que l’on évoque la restructuration forcée des Médias de proximité ou le rapprochement volontaire des médias privés de presse quotidienne, l’emploi salarié comme indépendant va trinquer. Mais ce ne sera pas le seul dégât collatéral. Il est temps que les rédactions se mobilisent.
12 moins 4 = 8 ?
Selon le plan de la ministre des médias annoncé ce 27 mai, 4 Médias de proximité (MDP) sur 12 seraient « surnuméraires » en Fédération Wallonie-Bruxelles et ne seraient plus financés à l’horizon 2030. A terme, il n’y aurait donc plus que 8 MDP contre 12 actuellement, un par Province, à l’exception du Hainaut et de la province de Liège qui pourraient en conserver deux. C’est dans le Namurois (Boukè, MAtélé et Canal Zoom) et dans le Hainaut (NoTélé, ACTV, Télésambre et TéléMB) que les concentrations ou disparitions devraient se produire, selon ce plan présenté comme une « pièce à casser » par Jacqueline Galant et qui n’est pas passé en Gouvernement FWB à ce stade. Pièce à casser certes, mais pourra-t-on toucher aux murs porteurs de cette réforme, à savoir le nombre réduit de MPD et les solides diminutions de subventions annoncées ? Elles étaient d’un peu plus de 16 millions en 2023, elles ne seraient plus que de maximum 10 millions fin 2030. Autre définancement annoncé : la perte d’aides à l’emploi dès 2027, via la réforme des APE (Aides pour la Promotion de l’Emploi dans le secteur non marchand), mesure à ce stade difficilement chiffrable, d’autant que les MDP sont à des niveaux APE différents, mais ces aides seraient amputées de 10% chaque année jusque fin 2030. La ministre annonce également son intention de mettre fin rapidement au soutien à la Fédération des MDP. Le carcan budgétaire posé, il ne reste plus qu’aux MDP qu’à procéder eux-mêmes à leur restructuration, resizing ou absorption. La ministre revoit les MDP le 10 juin, elle « attend leurs propositions ».
Qu’en penser ?
L’inquiétude est très vive parmi les équipes des MPD. Tous seront impactés, mais pas de la même manière. Si ce plan devait entrer en vigueur, l’AJP estime que cela signifierait une perte sèche pour le pluralisme des médias en Wallonie, des coupes sombres dans l’emploi salarié et indépendant, une réduction de l’offre d’information pour le public, et l’apparition probable de « déserts locaux » en termes d’information : certaines zones risquent en effet de ne plus être couvertes par les MDP.
La déclaration de politique communautaire (DPC) pour la législature (intitulée « Avoir le courage de changer pour que l’avenir s’éclaire ») indique au sujet des MDP : « Par leur valorisation de la culture, du sport, du patrimoine, des initiatives citoyennes et, plus largement, de la vie quotidienne dans nos communes, les médias de proximité demeurent des acteurs essentiels du vivre-ensemble. Ils font partie intégrante du pluralisme des médias en FWB ». La DPC évoque rapidement les collaborations avec la RTBF, puis indique « Un cadre permettant des fusions volontaires sera établi ». La note de la ministre va donc beaucoup plus loin, en ce qu’elle prévoit de définancer de manière importante les MDP, ce qui ne figurait pas dans la DPC. Par ailleurs, cette même note stipule qu’en concentrant les médias de proximité, « le paysage médiatique se trouvera renforcé ». Or, diminuer les moyens de rédactions locales, dans un contexte où d’autres rédactions locales sont affaiblies (voir ci-dessous) revient mathématiquement à déforcer le paysage médiatique, le pluralisme de la presse et l’information locale en particulier.
L’AJP a pris de multiples contacts et va réunir prochainement les représentant.e.s des sociétés de journalistes des MDP.
Rapprochements Rossel / IPM
De quel deal Rossel et IPM discutent-ils depuis des mois pour leurs titres de presse écrite ? D’un rachat d’IPM par Rossel ? De participations croisées ? Des informations commencent à filtrer, certes très peu ou pas du tout dans les titres concernés par le deal (La Libre, La Dernière Heure, L’Avenir, Moustique, Le Soir, SudInfo, le SoirMag) ; c’est le Vif et L’Echo qui ont publié fin mai les informations qui circulent depuis l’année passée dans toutes les rédactions d’IPM et de Rossel. Il faut dire qu’elles restent parcellaires et souvent invérifiables et que les négociations doivent être délicates entre les équipes de Bernard Marchant et celles de François le Hodey. Les directions en lâchent donc le moins possible, en ce compris aux Conseils d’entreprise où par endroit les délégué.e.s ne se sont pourtant pas privés de poser de nombreuses questions. C’est singulièrement le cas aux Editions de l’Avenir (EDA) où le front commun CGSLB – CNE – SDR – AJP vient de déposer un préavis de grève, dans le cadre des économies imposées aux titres EDA, en lien selon les organisations avec le futur deal négocié par IPM.
« Il y aura de la casse sociale ». Ici aussi, les interlocuteurs, patronaux ou représentant.e.s des journalistes en sont tous bien conscients : si le deal est une fusion de titres de presse, où même « seulement » des synergies poussées entre les titres, les pertes d’emploi et de collaborations pigistes se compteront par centaines. L’information de proximité semble à nouveau la première menacée (EDA et SudInfo), mais tous les titres des deux groupes seraient concernés.
Les raisons qui poussent à ce rapprochement entre éditeurs historiquement concurrents sont connues : modèle numérique non rentable, baisse des ventes et abonnements, de la publicité, coûts en hausse difficilement supportables pour la distribution, dès lors que le soutien fédéral est amené à disparaître, sauf nouvelles mesures. La fin des journaux « papier » est même évoquée, dans un délai de 2 à 4 ans : si la distribution des journaux et périodiques n’est plus soutenue par le Fédéral après 2026, il serait impossible d’en répercuter aux abonnés le coût-vérité, ce qui précipitera la fin du papier. Et posera des problèmes en chaîne : à Rossel, qui imprime les titres des deux groupes, mais aux deux groupes également puisque ce sont toujours les ventes et abonnements « papier » qui constituent ¾ des revenus de la presse quotidienne.
De quoi discutent alors les directions de Rossel et d’IPM ? Différents scénarii, sont évoqués :
Mise en commun de la Régie, de l’IT et de la distribution : c’est en cours, notamment avec la création d’une société commune de distribution (Direct presse).
Quid de l’info donc des rédactions ? Ce serait l’étape suivante, et « tous les titres seraient concernés ». C’est le sujet sur lequel filtrent à ce jour le moins d’informations. SudInfo a certes déjà libéré un de ses étages à Bouge pour que les EDA s’y installent. Mais quand et pour quoi y faire, c’est à ce stade la bouteille à encre. Le Soir et La Libre sont-ils concernés par des rapprochements ? Oui, mais on ne sait ni quand ni comment. Quel sort sera réservé aux équipes de LN24 et de La Dernière Heure – Les Sports ? C’est flou. Interrogé par l’Echo, Bernard Marchant indique qu’un deal pourrait être bouclé avant le 21 juillet. D’ici là, les équipes, sont dans le brouillard total.
De rumeurs en informations invérifiables (vu la discrétion des principaux intéressés), et alors que le pluralisme des médias de presse écrite, l’emploi et la qualité de l’information en Fédération Wallonie-Bruxelles n’ont jamais été au centre des enjeux économiques du secteur de manière aussi aigüe, il ne reste que la vigilance et la mobilisation des organisations représentatives des journalistes et
employés pour faire en sorte de préserver ce qui peut encore l’être. C’est le sens du préavis d’actions déposé aux EdA fin mai. La mobilisation et la conscience des enjeux doivent s’inviter dans tous les titres concernés.
Martine Simonis, SG AJP.