Photo  E. Ndikumana/AFP

Sur la photo d’Esdras Ndikumana (AFP), une marche des journalistes burundais le 3 mai 2011, qui déjà réclamaient davantage de libertés.

Le 3 mai, on célébrera la liberté de la presse aux quatre coins du monde. Au Burundi, cette journée revêtira une signification particulière, alors que le Sénat vient d’entériner une loi liberticide que dénoncent les professionnels. A cette occasion, l’AJP propose un dossier consacré à la liberté de la presse et aux médias au Burundi : de la nouvelle loi sur la presse à l’affaire Hassan Ruvakuki, du nom d’un journaliste que nous avons rencontré en prison quelques semaines avant sa libération, en passant par l’histoire d’Iwacu, un média né en Belgique.

Dossier publié en complément de l’article du même titre, publié dans Journalistes n°147, avril 2013.

A peine plus petit que la Belgique, le Burundi compte près de 10 millions d’habitants dont le taux d’alphabétisation frôle les 60%. Il fait aussi partie des dix pays les plus pauvres du monde. Jeune démocratie – le pays a fêté le cinquantième anniversaire de son indépendance l’an passé – , le pays avance à reculons en matière de liberté d’informer. La nouvelle loi sur la presse, adoptée à l’Assemblée nationale le 3 avril puis par le Sénat le 19 avril dernier, s’est attiré les foudres des professionnels car elle réduit leur marge de manœuvre de manière drastique.

« Une volonté de fermer les médias indépendants »

Le texte prévoit notamment que les journalistes doivent être au minimum titulaires d’une licence (master) pour exercer leur métier. Il restreint la protection des sources journalistiques. Il accroit les pouvoirs du Conseil national de la communication (CNC), organe public de régulation des médias. Et il fixe de lourdes amendes en cas de délit de presse. « Avec cette nouvelle loi, les médias indépendants au Burundi entrent dans une zone de turbulence. Nous allons devoir résister. Les jours à venir seront difficiles pour les journalistes indépendants au Burundi« , commentait Antoine Kaburahe, directeur du groupe de presse Iwacu, dans un éditorial publié au lendemain du premier vote. Pour Alexandre Niyungeko, président de l’Union burundaise des journalistes (UBJ), il s’agit d’une loi liberticide « qui dénote une volonté manifeste du pouvoir de fermer les médias indépendants. »

Au classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières (RSF), le Burundi figure à la 132e place. Avec cette nouvelle loi, « la presse burundaise risque de se voir empêchée de jouer son rôle dans le débat démocratique« , dénonçait l’organisation.

Journalistes versus propagandistes

D’une manière générale, « la presse est libre sauf les médias supposés publics« , commentent Innocent Nsabimana, coordinateur de l’Observatoire de la presse du Burundi, et Gabriel Nikundana, directeur du Centre de formation des médias. « Et elle est libre d’enquêter sur tous les dossiers malgré les menaces permanentes de l’autorité. Les médias publics s’inscrivent dans la logique du pouvoir, dans la mesure où la plupart des responsables et des journalistes sont des militants du parti au pouvoir. Ils font de la propagande et, quelques fois, soutiennent des responsables accusés de mauvaise gouvernance dans des médias privés. Certaines radios privées se comportent en outre comme des médias au service des pouvoirs publics car elles ont été créées par le pouvoir via des militants du parti au pouvoir, le CNDD-FDD. »

Les écueils auxquels se heurtent les médias privés sont aussi d’ordre économique. « Ils n’ont pas assez de moyens pour stabiliser leur personnel et leurs journalistes sont mal payés« . Dans ce contexte, la pratique du « per diem », qui consiste au remboursement des frais de déplacement des journalistes par les organisateurs de conférences de presse, n’est pas sans dangers quant à l’indépendance des professionnels.

Du côté des médias publics, « les journalistes sont à la merci de l’humeur du chef. Il en va de même dans les médias privés créés par des militants du CNDD-FDD. Le recrutement dans ces médias s’opère selon le degré de militantisme du candidat et non de son professionnalisme. Les médias privés qui mettent en avant le professionnalisme et l’équilibre de l’information, et qui dénoncent les multiples abus du pouvoir sont considérés comme des parties intégrantes de l’opposition« , soulignent encore nos deux témoins.

Le cas Hassan Ruvakuki

 

Photo Alexandre Niyugenko/UBJ

Libre mais toujours inculpé : le combat continue pour Hassan Ruvakuki. Photo : Alexandre Niyugenko/UBJ »

L’Union des journalistes burundais (UBJ) compte quelques 220 membres actifs (sur un total de 400 journalistes, photographes, caméramans et preneurs de son). Pour son président, Alexandre Niyungeko, « les médias les plus vulnérables sont les médias publics. Les rédactions accordent davantage de place au parti au pouvoir et je ne vois guère de solidarité au sein des rédactions. Ça me choque, cette léthargie des journalistes, même rôdés. Je peux comprendre leur attitude mais elle est très dangereuse pour le métier ! » Alexandre est journaliste à la radiotélévision publique, la RTNB, et il ne cache pas que ses relations sont tendues avec son employeur en raison de ses activités syndicales.

Mais c’est le sort d’un journaliste travaillant pour la radio privée Bonesha qui le préoccupe pour l’heure. Nous sommes le 3 février et nous nous mettons en route pour rencontrer Hassan Ruvakuki à la prison de Muramvya, à l’est de Bujumbura. Egalement correspondant pour Radio France International (en swahili), il a été arrêté le 28 novembre 2011. Accusé de terrorisme, il avait d’abord été condamné à la perpétuité. Début janvier, sa peine était ramenée à trois ans. Son crime ? Avoir tendu son micro à un groupe de rebelles. Il nous raconte la solidarité qui s’est organisée autour de lui, au lendemain de son arrestation par des policiers et des agents des services secrets.
« Des villageois que je ne connaissais pas sont venus m’apporter à manger. Des confrères m’ont téléphoné en prison, même de Belgique. Je bénéficie d’un régime de faveur mais il faut payer pour. Il y a parfois des moments de découragement. Je n’ai fait que mon travail de journaliste et on me traite comme un terroriste. A la radio, j’animais une émission qui donnait la parole aux auditeurs et cela me valait déjà des menaces. » Un mois plus tard, Hassan était libéré pour « raisons de santé ». Aux dernières nouvelles, il se portait bien…

Interdit de publication

Jean-Claude Kavumbagu, directeur de l’agence privée Net Press, a été lui aussi privé de sa liberté pour n’avoir fait qu’exercer son métier. De 1999 à 2011, il a séjourné cinq fois en prison. Au total, cela fait dix-sept mois de détention. « Ce que l’on sait moins, c’est que l’agence a été interdite de diffusion à trois reprises et cela est beaucoup plus difficile à gérer que la prison. En effet, si je suis enfermé et que la maison tourne, je considère cela comme une pause d’autant que je n’ai jamais pris un seul jour de congé en 16 ans d’existence de Net Press. Par contre, fermer l’agence me bloque dans mes affaires. » Acquitté à cinq reprises, il considère qu’il « faut continuer dans le même sens pour que les autorités publiques comprennent le rôle de la presse. »

La Fédération Wallonie-Bruxelles invitée à réagir

Chez nous, le 26 mars dernier, le député Ecolo Jean-Claude Defossé interpellait, en commission des relations internationales de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Rudy Demotte. Il invitait le ministre-président à réagir auprès des autorités de Bujumbura « en leur demandant instamment de respecter les standards universels qui régissent la liberté de la presse afin que les journalistes puissent exercer sans entraves leur métier« .

Laurence Dierickx
A Bujumbura

 

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