Droits d’auteur des salariés : soumis à l’ONSS ?
La Cour de cassation a rendu un arrêt qui soumet à cotisations sociales les droits d’auteur des artistes salariés. Voilà une décision qui risque de perturber toute l’économie du secteur culturel.
C’est un dossier vieux de près de 15 ans qui vient d’aboutir en Cour de cassation. Une entreprise de spectacle versait à ses 68 artistes salariés, outre leur salaire, un montant mensuel forfaitaire de droits d’auteur, destinés à rémunérer leurs « droits voisins », en l’occurrence les droits issus de la vente des CD du spectacle. L’ONSS, après enquête de l’inspection sociale, avait assigné l’entreprise, considérant que ces droits étaient en fait de la rémunération soumise à cotisations sociales. En première instance, à Brugge, l’ONSS obtint gain de cause. En appel par contre, la Cour du travail de Gand considéra que les droits d’auteur versés à des artistes salariés échappent à cotisations sociales : ce sont des revenus mobiliers, liés à l’exploitation des œuvres et qui sont sans lien avec le contrat de travail. Le contrat de travail prévoit des prestations (le spectacle). Par contre, les revenus de la cession des droits voisins ne sont pas liés au travail convenu, mais bien à la commercialisation des CD. L’ONSS s’est pourvu en cassation. La Cour de cassation a mis deux ans pour rendre son arrêt, ce qui est un délai étonnamment long pour cette juridiction. Mais fin du suspense : pour la Cour, les droits voisins des artistes salariés sont soumis à cotisations sociales ONSS. Le litige est donc renvoyé à une autre Cour du travail afin de connaître son épilogue judiciaire.
Cotiser sur des revenus mobiliers ?!
Voilà un arrêt qui risque de perturber toute l’économie du secteur culturel. Les auteurs salariés – dont bien entendu les journalistes – bénéficient à divers titres de droits d’auteur : les droits relatifs à la première diffusion de l’œuvre, les droits issus de l’exploitation de leurs œuvres par l’éditeur, les droits de traduction, etc… Jusque-là, et qu’ils soient salariés ou indépendants, les droits que ces auteurs percevaient en contrepartie de leur cession n’étaient pas soumis à cotisations sociales (ni dans le régime ONSS, ni dans le régime INASTI). Pour les indépendants, une circulaire de l’INASTI le prévoit expressément. Pour les salariés, l’ONSS n’avait jamais manifesté l’intention de soumettre ces revenus à cotisations sociales. Ce qui est logique : les droits d’auteur ne sont pas des revenus du travail. Ce sont des revenus mobiliers, provenant de la cession des droits que l’auteur détient sur son œuvre. Percevoir des cotisations sociales sur des revenus mobiliers, voilà une première assez surréaliste dans notre arsenal juridique. Et pourquoi les indépendants devraient-ils désormais y échapper ? L’INASTI ne risque-t-il pas d’aligner sa position sur celle de l’ONSS ? A ces questions, il n’y a pas encore de réponse. Mais les auteurs se trouvent dans une situation où d’un côté (fiscal), leurs droits sont bien considérés comme des revenus mobiliers et taxés comme tels, et de l’autre (social), ils deviennent de la rémunération soumise à cotisations sociales.
Et l’accord collectif en presse quotidienne ?
L’arrêt de la Cour de cassation jette encore un peu plus d’incertitudes dans un dossier déjà bien chahuté. La plupart des journalistes salariés bénéficient déjà depuis 1994 de droits d’auteur. Soit par le biais d’accords entre leur société de gestion de droits et leur employeur. Soit directement de la part de leur employeur, en contrepartie de la cession de leurs droits. Depuis tout ce temps, l’ONSS n’a jamais émis la volonté de percevoir des cotisations sociales sur ces montants de droits. En outre, depuis 2008, les droits d’auteur sont devenus des revenus mobiliers, qui jusqu’à un plafond de 56.450 €/an, ne peuvent plus être requalifiés en revenus professionnels. Ils sont désormais taxés par voie de précompte mobilier, au taux de 15 %. Dans le régime de cotisations sociales des indépendants, l’INASTI en a logiquement tiré la conclusion que ces revenus ne pouvaient faire l’objet de cotisations sociales. Après cet arrêt de la Cour de cassation, faudra-t-il conclure qu’un auteur salarié et un auteur indépendant voient leurs revenus de droits traités différemment ?
L’AJP et les JFB (éditeurs de journaux francophones) ont récemment obtenu une validation fiscale du protocole conclu en presse quotidienne. Ce protocole prévoit de verser aux journalistes salariés de la presse quotidienne un montant mensuel de droits d’auteur en contrepartie de la cession de leurs droits primaires à leur employeur (les droits relatifs à la première utilisation de l’œuvre). La validation au plan fiscal obtenue du service des décisions anticipées est intervenue alors que les contacts avec l’ONSS, pour la validation au plan social, n’avaient pas encore abouti. L’ONSS attendait en effet ce fameux arrêt de la Cour de cassation avant d’arrêter une position. Des contacts entre l’AJP, les JFB et l’ONSS auront lieu prochainement. Ensuite, nous arrêterons une position quant à l’application – ou non – du protocole signé en 2011.
Martine Simonis
L’arrêt du 15 septembre 2014 de la Cour de cassation (en néerlandais) est disponible sur le site du SPF Justice.