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Qui est responsable ?

30/04/2008

Le dossier publié dans Journalistes n°92 (avril 2008) posait la question de la modération sur les forums des médias et du rôle du journaliste. On y retrouvait entre autres une interview de Thibault Verbiest, avocat aux barreaux de Bruxelles et de Paris, et associé du cabinet Ulys. En voici sa version intégrale.


Peut-on tout écrire sur internet ?

Thibault VERBIEST : Tout ne peut pas être écrit : l’article 10 Convention européenne des droits de l’Homme énonce des restrictions à la liberté d’expression, notamment pour protéger la réputation et les droits d’autrui.
En Belgique, plusieurs dispositions légales sont applicables et punissent les auteurs de propos diffamatoires, xénophobes, etc. sur internet, notamment :
– l’article 66 du Code pénal qui réprime les provocations à commettre des crimes ou des délits ;
– l’article 379 du Code pénal qui réprime les textes et images à caractère pornographique ou pédophile ;
– les articles 443 à 452 du Code pénal qui concernent les incitations à la haine et à la discrimination raciale, la calomnie et la diffamation, l’injure par les faits, les images ou les emblèmes ;
– la loi du 23 mars 1995 qui, dans le cadre de l’article 444 du Code pénal, tendant à réprimer la négation, la minimisation, la justification ou l’approbation du génocide commis par le régime national-socialiste allemand pendant la seconde guerre mondiale ;
– la loi du 30 juillet 1981 (dans sa version modifiée du 10 mai 2007) qui, dans le cadre de l’article 444 du Code pénal, réprime les actes inspirés par le racisme ou la xénophobie.

Lorsque de tels propos sont publiés, quelle responsabilité est engagée ?

Thibault VERBIEST : Sur le plan pénal, la mise en cause de la responsabilité pénale du gestionnaire de sites ou de forum n’est pas à exclure à partir du moment où les cours et tribunaux semblent reconnaître que les délits commis via Internet sont des délits de presse. En effet, le régime du délit de presse prévoit une responsabilité pénale en cascade: si l’auteur de l’infraction n’est pas identifiable, la victime peut se retourner contre l’éditeur.
En l’occurrence, le gestionnaire de site pourrait être assimilé à l’éditeur et encourir un régime de responsabilité pénale similaire.
Sur le plan civil, la prudence s’impose également. Le régime de la responsabilité pénale en cascade a été étendu en matière civile. L‘éditeur de site pourrait alors être poursuivi au civil si l’auteur des messages n’est pas identifiable (Cass., 21 mai 1996, J.T., 1996, p. 597).
La jurisprudence française est éclairante. Elle oscille entre le régime de responsabilité issu de la presse et l’équivalent de celui de la loi du 11 mars 2003 selon lequel il est possible de considérer le responsable d’un forum comme un hébergeur.
La loi du 11 mars 2003 (articles 18 à 21) met en place un régime de responsabilité particulier pour les fournisseurs d’accès et les hébergeurs.
Ainsi, l’hébergeur n’est pas responsable des informations stockées à la demande d’un destinataire du service à condition :
– qu’il n’ait pas une connaissance effective de l’activité ou de l’information illicite, ou, en ce qui concerne une action civile en réparation, qu’il n’ait pas connaissance de faits ou de circonstances laissant apparaître le caractère illicite de l’activité ou de l’information ;
– qu’il agisse promptement, dès le moment où il a de telles connaissances, pour retirer les informations ou rendre l’accès à celles-ci impossible.

Y a-t-il eu, en Belgique, des affaires de ce type ?

Thibault VERBIEST : Les procès sont rares en Belgique. La jurisprudence a surtout eu l’occasion de se prononcer sur des cas de racisme sur internet, en condamnant les auteurs des propos litigieux. Mais il faut probablement s’attendre à une multiplication des plaintes visant les responsables de blogs, à l’instar de nos voisins allemand et français.

Qu’en est-il du droit de réponse ?

Thibault VERBIEST : En Belgique, trois textes sont susceptibles d’être appliqués : la loi du 23 juin 1961 sur le droit de réponse, les décrets coordonnés de la Communauté flamande du 4 mars 2005 (articles 177 à 191) et le décret de la Communauté germanophone du 27 juin 2005 (article 5).
Ces trois textes n’envisagent pas explicitement les cas liés à l’Internet et ne présentent pas d’homogénéité dans les régimes applicables.
L’observatoire des droits de l’Internet a publié en 2006 un avis concernant les modifications à apporter afin d’adapter le droit de réponse à la réalité internet.
La question est complexe car le droit de réponse audiovisuel relève de la compétence des Communautés, et l’internet (« société de l’information ») relève en principe du fédéral. Que faire dès lors de contenus audiovisuels sur internet ? Il est en tous cas indispensable de tendre à des régimes de droit de réponse les plus harmonisés possibles, exercice difficile dans notre pays…

La modération des commentaires a priori constitue-t-elle l’unique « garde-fou » ?

Thibault VERBIEST : L’analyse de la jurisprudence française montre qu’il est possible de distinguer trois types de blogs. Ces trois modes de fonctionnement correspondent à des réalités de fonctionnement. Ils donc transposables à ce qui existe en Belgique.
Le premier concerne les blogs modérés a posteriori. Les éditeurs de contenus sont libres de placer en ligne les contenus qu’ils désirent. Le modérateur du blog ne procédera à l’enlèvement de contenus litigieux que si ceux-ci lui sont signalés comme tels ou sur base d’une injonction. C’est le mode de fonctionnement qui réclame le moins d’investissements de la part du responsable du blog. D’un point de vue pratique c’est le mode le plus commode.
Le deuxième type concerne les blogs modérés a priori : le modérateur décide quels contenus pourront être mis en ligne.
Le troisième type concerne les blogs modérés a priori et pour lesquels le modérateur intervient. Il devient lui-même éditeur des contenus en ligne.
La jurisprudence française est aujourd’hui assez clairement établie : les blogs de la première catégorie sont assimilables à des hébergeurs, tandis que les autres sont des éditeurs.
Reste à voir si les juges belges suivront cette jurisprudence d’outre-Quièvrain…

Propos recueillis via courriel
par L. D.

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