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Florence, Hussein, Fred et tous les autres

03/05/2005

Leur liberté, c’est la nôtre : depuis le 12 avril, les portraits de la journaliste Florence Aubenas (Libération) et de son interprète irakien Hussein Hanoun al-Saadi, enlevés le 5 janvier dernier en Irak, sont affichés au fronton du ministère de la Communauté française à Bruxelles. Deux visages devenus emblématiques qui rappellent que la liberté de la presse constitue l’un des piliers de la démocratie. Et la route est encore bien longue… pour ne pas oublier, pour ne pas les oublier, une Journée mondiale de la liberté de la presse est organisée chaque 3 mai, depuis quinze ans, à l’initiative de l’Assemblée générale des Nations Unies.


Une journée mondiale de plus ? Oui, mais la nôtre ! A l’initiative de l’Assemblée générale des Nations Unies, le 3 mai a été choisi, voici quinze ans, comme « Journée mondiale de la liberté de la presse » avec l’espoir que, ce jour-là, une plus grande visibilité serait accordée à tout ce qui se fonde sur l’article 17 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme.
Cet article dit : « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre sans considération de frontières, les informations et les idées par quelque moyen que ce soit« .
On est loin du compte, on s’en doute, en ces années noires pour les journalistes ; faut-il en effet rappeler qu’ils sont de plus en plus nombreux à mourir, disparaître, être arrêtés, emprisonnés, torturés, enlevés, menacés, brimés dans l’exercice de leur profession ? Et pas seulement dans les pays à hauts risques, en tête desquels ceux où guerre et terrorisme fauchent les vies de tant de civils. Partout où la vérité dérange, inquiète ou gêne des détenteurs de pouvoir, les « messagers » courent des risques. Et pour certains, on se croirait revenu au temps des Ming en Chine, quand les empereurs faisaient décapiter les porteurs de mauvaises nouvelles…

En cette 15e Journée mondiale, dirigeants et membres des médias sont invités à mettre leurs différences de côté et à se rejoindre, « sous la bannière de l’Unesco, pour célébrer la liberté d’expression, condamner les violations des droits des journalistes et honorer les confrères morts dans l’exercice de leur profession« , selon les mots d’Aidan White, secrétaire général de la Fédération internationale des journalistes (FIJ).
Nous le rappelions récemment (Journalistes n°57 de février) : selon le décompte de Reporters sans frontières, 53 journalistes et 15 collaborateurs de médias ont été tués en 2004, faisant de cette année la plus meurtrière depuis dix ans. En tête de ce macabre hit-parade, l’Irak où RSF a recensé 31 décès, sans compter les nombreux cas d’enlèvement et de disparition irrésolus. Pour la FIJ, le constat est encore plus accablant : 129 journalistes et collaborateurs de médias ont perdu la vie en 2004 (en ce compris dans des accidents). Et Sarah de Jong, ancienne responsable « droits de l’Homme/sécurité dans le journalisme » à la FIJ et directrice adjointe de l’Insi (Institut international pour la sécurité dans le journalisme), précisait, dans ce même numéro de Journalistes, que, depuis le début de la guerre en Irak, 65 journalistes y avaient trouvé la mort.
Depuis 2003, ces martyrologes ont leurs figures emblématiques en Belgique : Fred Nerac et Florence Aubenas.
Fred Nerac, cameraman français résidant en Belgique, travaillait pour la chaîne britannique ITN lorsqu’il disparut, vraisemblablement du fait de « tirs amis » (c’est ainsi que les Américains baptisent leurs « bavures »), sur la route de Bassora, le 22 mars 2003.

Depuis lors, son épouse Fabienne se bat par tous les moyens possibles et au nom de leurs deux enfants, pour connaître le sort de son mari. En dépit d’un appel direct à Colin Powell, alors secrétaire d’Etat, lors de sa conférence de presse à l’Otan, les Américains ne se sont guère investis dans l’enquête et, si les Britanniques puis les Français ont pris le relais dans la recherche de la vérité, celle-ci n’est toujours pas sortie du puits où certains s’emploient à la noyer.
Florence Aubenas, journaliste française travaillant pour Libération, qui passa toute sa jeunesse en Belgique, a été enlevée à Bagdad, en même temps que son guide, Hussein Hanoun al-Saadi, le 5 janvier dernier. Sa mère, Jacqueline Aubenas, réside toujours à Bruxelles où elle enseigne, à l’Insas et à l’ULB. Elle se bat elle aussi, de toutes ses forces, pour sa fille et, surtout, puisqu’elle ne peut négocier avec des ravisseurs qui nous restent inconnus, pour qu’on n’oublie pas sa fille. Et il faut dire que, depuis janvier, les manifestations de solidarité ont été nombreuses, tant en France qu’en Belgique. On rappellera ainsi, outre le suivi exceptionnel que continuent d’assurer les principaux médias, la réception organisée par le présidente du Sénat Anne-Marie Lizin début février, les projections sur les boules de l’Atomium à l’initiative de RSF début mars, la réunion d’une soixantaine de dirigeants de médias au Parlement européen fin mars, l’apposition de portraits de Florence et Hussein sur la façade du Soir et de La Libre Belgique peu après, puis du ministère de la Communauté française en avril, le lâcher de ballons place de la Liberté à Bruxelles (et dans cent villes françaises) pour le centième jour de captivité des deux otages. Toutes ces manifestations, auxquelles assistait Jacqueline Aubenas, veulent empêcher qu’on oublie, parce que, comme l’a dit Serge July, le rédacteur en chef de Libération, le fait que la presse parle d’eux est l’assurance-vie des otages.

On veut le croire. Comme on espère que Fabienne Nerac aura un jour les informations qu’on doit à sa douleur. Sans parler de l’espoir que nous devons entretenir avec la FIJ, RSF, l’Insi, nos associations professionnelles et nos confrères du monde entier pour qu’un jour toutes les atteintes à la liberté de la presse et les crimes contre les journalistes fassent l’objet d’enquêtes indépendantes et soient sanctionnés. Et il ne suffit pas d’espérer, de réfléchir et d’agir chaque 3 mai, bien sûr.

Marie-Claire BOURDOUX

(article publié dans Journalistes n°59, avril 2005)

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