Archives

France : des journalistes fatigués, bousculés et inquiets

06/06/2011

Le cabinet français d’expertise Technologia, spécialisé dans les risques professionnels, a procédé fin 2010, en partenariat avec le Syndicat national des journalistes (SNJ), à une vaste enquête auprès des journalistes français : « Travail réel des journalistes, qualité de l’information et démocratie ». Cette étude  dresse le portrait d’un « travailleur fatigué« , « inquiet » et « bousculé » et elle réclame « une réflexion urgente sur la fonction sociale du journaliste comme médiateur de l’information« .

Un millier de journalistes ont participé à cette enquête via un questionnaire et une centaine via des entretiens individuels. Deux tiers travaillent en CDI et près d’un tiers évoluent dans une situation professionnelle précaire (CDD, pige).

L’analyse statistique des données recueillies montre « que l’ensemble des journalistes ressent de façon aiguë l’existence de menaces sur la profession ». Ces menaces sont avant tout d’ordre économique : évolution du lectorat (54%), poids des annonceurs (42%), groupes industriels (39%), pouvoir politique (25%). Plus largement, indique le rapport d’enquête, « la profession vit actuellement trois ruptures profondes avec la manière de vivre et de se représenter le métier de journaliste. »

Courir après un lecteur qui s’échappe

La première est relative à une évolution de la consommation de l’information, perçue comme une menace pour la profession. Lors des entretiens, les journalistes ont fait part de leur sentiment de course après un lecteur qui s’échappe « sans qu’il soit possible de distinguer si celui-ci est en recherche d’une autre information, demande un autre traitement de cette information ou recherche seulement une manière différente de la consommer. » Dans la presse écrite, souligne l’étude, cette transformation « est menaçante pour 62% des journalistes contre 40% en radio et 32% en télévi-sion. » L’enquête relève encore qu’une moitié des journalistes interrogés se dit indépendant, « même si 71% des journalistes déclarent disposer de la possibilité de choisir les sujets traités, l’autocensure (…) semble avoir progressé au cours des cinq dernières années. »

La deuxième concerne le bouleversement du modèle économique comme élément affectant les conditions de travail et la qualité de l’info. 73% des journalistes interrogés se disent fiers du travail réalisé mais 46% admettent ne pas avoir assez de temps de récupération, 68% estiment devoir travailler plus rapidement, 73% pointent une charge de travail en augmentation, 55% estiment que leur activité professionnelle a un impact direct sur leur santé et 89% disent avoir été stressés ou fatigués par leur travail au cours des douze derniers mois.

Il ressort également que les professionnels ont de moins en moins de temps à consacrer au travail d’investigation et que les moyens octroyés, particulièrement aux grands reportages, s’effondrent.

De plus en plus polyvalents

La troisième rupture vécue par les journalistes français est celle du web où le traitement de l’information n’est plus la prérogative des seuls professionnels : »Le web semble largement bousculer le travail tel qu’il était réalisé jusqu’à ces dernières années en raccourcissant la notion de temps et en pesant directement sur l’organisation des rédactions elles-mêmes« . Ainsi, 68% des répondants  considèrent travailler plus vite aujourd’hui, 67% estiment que le numérique a modifié leur manière de travailler. Et si le web transforme le métier de journaliste, ils sont nombreux à considérer que leur métier est devenu polyvalent : 46% estiment que cette polyvalence est due aux compétences demandées (écriture, vidéo, photo,…), 47% pensent qu’elle est due aux exigences d’une écriture multisupport (print et web).

33 propositions pour défendre le journalisme

A partir de ces résultats, Technologia a développé 33 propositions pour la « défense du journalisme comme auxiliaire de la démocratie » : doter les rédactions d’une véritable « autonomie juridique », renforcer la reconnaissance de la déontologie, instaurer un droit d’alerte éditoriale et un droit de retrait, mettre l’imagination au pouvoir, assurer la régulation par le dialogue social ou encore assurer la formation continuée du journaliste.

En Belgique francophone, une enquête sur le moral des journalistes avait été menée en 2008, à l’initiative de Céline Fion dans le cadre de son mémoire (UCL). 754 journalistes professionnels y avaient participé et ses conclusions n’étaient pas si éloignées de celles publiées par Technologia : 80% à estimaient que leur métier évoluait « plutôt négativement ». En cause de ce malaise professionnel : l’insuffisance des effectifs rédactionnels et de temps.

» Lire les résultats de l’enquête sur le site de l’hebdomadaire Marianne

Partagez sur