La Croix-Rouge et l’AJP unis dans un partenariat original
Journalistes et intervenants de crise ont entamé une série de rencontres destinées à améliorer leurs relations. La première étape de ce projet initié par la Croix-Rouge de Belgique et auquel l’AJP s’est associé avec enthousiasme, s’est déroulée le 12 février 2008, dans les locaux de l’AJP. Quatre mois plus tard, le 11 juin, une journée d’étude internationale permettait d’élargir les échanges.
Photo : Une partie des participants au carrefour organisé le 12 février 2008 à l’AJP. De g. à d. : Marc Metdepenningen (Le Soir), Dominique Burge (RTBF), Caroline Joachim (Croix-Rouge), Marc Vranckx (Centre hospitalier de Tubize-Nivelles), Jean-François Dumont (AJP), Jacques Roisin (UCL/Croix Rouge), Gérard Lizon (Croix-Rouge), Eddy Maillet (Police d’Ath), Hugues Hamoir (Service d’aide aux victimes de Bruxelles II), Emmanuelle Praet (La Dernière Heure). (Photo Croix-Rouge)
Les services d’urgence débarquent à l’AJP
Un carrefour d’une demi-journée a rassemblé, le 12 février à l’AJP, des journalistes et des professionnels de l’intervention d’urgence : policier, médecin d’urgence, psychologues, pompier. Dans ce groupe volontairement restreint, chacun a expliqué ses contraintes, ses démarches, ses réactions ou ses critiques. Point de départ des discussions : la couverture et le suivi médiatique de la catastrophe de Ghislenghien, le 30 juillet 2004, à partir d’extraits de JT et de reportages.
De ces échanges denses, on retiendra notamment la difficulté pour chacun d’intégrer dans ses propres démarches le rôle et les motivations de l’autre.
Les « officiels » admettent eux-mêmes leur propension à s’ériger en protecteurs des victimes au-delà de ce que celles-ci souhaitent parfois. Certaines victimes veulent être reconnues comme telles, donc médiatisées. Mais les journalistes ne soupçonnent pas non plus à quel point d’autres victimes auront du mal à surmonter le traumatisme en revoyant plus tard les images de leur visage meurtri, saisies par une caméra intrusive.
Les intervenants professionnels disent aussi leurs difficultés à calibrer une communication qui ne peut être ni trop brève ni trop prolixe, soumise théoriquement à des procédures internes, voire légales. Ils comprennent l’empressement des médias à connaître le bilan et les causes d’un drame mais leur mutisme n’est pas nécessairement signe de mauvaise foi.
A quoi les journalistes répondent qu’une interview en direct peut se préparer ensemble, et que les informations données par la presse ne sont que des moments, qui peuvent changer, et non des vérités définitives. (J.-F Dt)
Journée d’étude « Catastrophe, médias et victimes » : des expériences professionnelles et humaines – quelle place à l’émotion ?
Après ce premier contact, journalistes et professionnels de l’intervention d’urgence se sont à nouveau retrouvés, le 11 juin au Résidence Palace (Bruxelles), à l’occasion d’une journée d’étude internationale « Catastrophe, médias et victimes ». Co-organisée par la Croix-Rouge de Belgique, l’AJP et l’Institut belge de victimologie (IBV) dans le cadre du projet européen Eureste (promotion des ressources européennes pour les victimes du terrorisme), le colloque – qui a rassemblé quelque 80 personnes – a notamment mis l’accent sur l’humanisation tant des victimes que des journalistes.
Photo : De g. à D.: Marcel Leroy (journaliste), Benoît Ramacker (Centre de crise SPF Intérieur) et Jean-François Dumont (adjoint au secrétariat national de l’AJP) (Photo : Croix-Rouge)
En préalable, Benoît Ramacker (Centre de crise fédéral, SPF Intérieur), a souligné la nécessité d’informer le citoyen lors de catastrophes : « Pendant des années, les autorités n’ont pas parlé des risques car elles avaient peur d’effrayer la population. Or le citoyen est un acteur de la sécurité : sans informations, la panique éclate« .
Témoin et relais de l’événement, le journaliste n’est pas blindé d’une épaisse carapace d’acier. A l’instar de n’importe quel autre être humain, se retrouver confronté à une situation forte, exceptionnelle, dramatique, peut provoquer une réaction d’empathie envers la ou les personnes qui en sont victimes.
Le 30 juillet 2004, l’explosion d’une conduite de gaz à Ghislenghien fait de nombreux morts et blessés. S’il a couvert l’événement, Marcel Leroy a poursuivi le récit du drame dans un livre publié aux éditions Luc Pire, « Ghislenghien, tu te souviens ?« . Y témoigne Stéphane Delfosse, un policier gravement brûlé ce jour-là. « Nous nous sommes rencontrés une trentaine de fois pour parler de l’avant et de l’après. C’était très dur au début, explique Marcel Leroy. Dans ce métier de journaliste, j’ai rencontré des centaines d’autres victimes. Comme Angelo, pris dans la catastrophe du Bois du Cazier en 1958. Sa vie s’est terminée là. Le journalisme, c’est faire œuvre de mémoire et de prévention. »
Le journaliste n’est pas qu’un simple observateur de l’événement : il en fait partie et est lui aussi exposé. Au point d’être susceptible de passer de l’autre côté de l’info en endossant le statut de victime ou d’otage.
« Devons-nous rester neutre émotionnellement ?« , demande le photojournaliste américain David Handschuh, qui a couvert pour le New York Daily News les attentats du 11 septembre 2001, au cours desquels il fut grièvement blessé. Fin 2007, il menait une enquête sur les conséquences du drame auprès de 157 journalistes : dégradation de leur état de santé (20%), dépression (12.5%), abandon de la profession (11%), carrière affectée par l’exposition physique (27%). Selon une autre étude menée en 2003 par le Dart Center for journalism and trauma (Royaume-Uni), un réseau constitué de journalistes et de professionnels de la santé, 28% des reporters de guerre développent des symptômes post-traumatiques. Dès lors, comment mieux appréhender ces situations ?
> David Handschuh et Gavin Rees, représentant le Dart Center, proposent deux pistes : former le journaliste pour qu’il apprenne à être à l’écoute, à reconnaître son ressenti et à se laisser toucher par l’événement ; et développer une culture de la discussion entre collègues, hiérarchie et/ou aidants professionnels.
Côté victimes, Marie Moarbès, psychologue clinicienne, s’est notamment intéressée à ces journalistes otages qui sont passés du statut d’observateur à celui de sujet ; exprimant « l’aspect colossal et écrasant de la couverture médiatique« . Cette couverture médiatique qui permet précisément « de conjurer l’oubli« .
Toutefois, pour Vincent Magos, responsable de la Coordination de l’aide aux victimes de maltraitance au ministère de la Communauté française, les victimes n’ont pas intérêt à travailler avec les médias ou alors en négociant strictement les conditions. Cet a priori de méfiance, fondé peut-être sur une mésaventure personnelle à laquelle il fit allusion, ne reflétait en tout cas pas l’esprit de cette journée : dialoguer entre intervenants de crise et professionnels des médias pour travailler, chacun, dans de meilleures conditions. (L.D.)
+ Pour en savoir plus sur…
Croix-Rouge de Belgique : www.croix-rouge.be
Institut belge de victimologie : www.victimology.be
Eureste (promotion des ressources européennes pour les victimes du terrorisme) : www.eureste.org
Dart center for journalism and trauma : www.dartcenter.org