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Le journaliste, le prince et leurs images

04/05/2011

Le prince et son image - Hugues Le Paige Qui, du journaliste ou du prince,  est le captif de l’autre lorsque le premier saisit l’image que le second veut bien donner de lui ? La question taraudait Hugues Le Paige depuis qu’il eut le privilège, avec ses complices de la RTBF (1), de suivre François Mitterrand, comme aucune autre télévision ne put le faire. Entre 1989 et 1993, donc avant et après la réélection du président français, l’équipe passa de nombreuses semaines dans les pas de Mitterrand à Paris, à Latché, en visite dans sa maison natale ou encore en « pèlerinage » à la Roche de Solutré.

Autorisée à filmer des réunions, des moments d’intimité, les documents épars sur le bureau présidentiel, ou encore des conversations singulières, l’équipe (qui disposait même d’un bureau à l’Elysée !) avait ainsi accumulé 120 heures de rushes dont l’essentiel fut diffusé par la RTBF dans plusieurs documentaires. Mais il restait des images inédites et, surtout, ces questions non explorées : comment peut-on filmer le pouvoir ? Quel est la nature de ce lien qui se crée forcément entre le journaliste filmant au plus près et le chef filmé ?

La « bonne distance »

Hugues Le Paige a entrepris cette réflexion à haute voix et à la première personne du singulier dans « Le Prince et son image », un remarquable documentaire que la RTBF diffusera sur La Trois le 9 mai, à 21 h 05 (rediff. le 13 mai sur La Deux).  En 50 minutes, il passe au crible de sa propre critique son travail de journaliste, s’interrogeant sur la « bonne distance » et annonçant d’emblée qu’à ses yeux, Mitterrand n’eut de cesse de maîtriser son image. Mieux (ou pire) : d’être le metteur en scène de son personnage, avec et malgré les journalistes belges. Cette analyse, Le Paige la porte à titre personnel, précisant dès le générique que l’autre journaliste, Jean-François Bastin, et la réalisatrice Isabelle Christiaens « ne la partagent pas forcément« .

Qu’on ne s’y trompe pas : le documentaire n’est pas un film de plus sur Mitterrand. Le président  n’est que le (formidable) prétexte à entreprendre la réflexion. Et pour que celle-ci prenne sa dimension universelle, Hugues Le Paige ne désigne Mitterrand que sous le seul vocable du « Prince ». Un prince qui dit ne pas vouloir faire l’acteur, mais qui joue de tous les registres entre séduction et dédain, et qui domine en permanence son entourage.

En retrait et à côté

On pourra peut-être voir aussi dans ce documentaire (2) une image moins étudiée par son auteur, celle du journaliste lui-même, contrepoint incontournable de la relation ambigüe qui s’achèvera sur un clash resté célèbre, rappelé en ouverture du film.  Un journaliste à la fois en retrait et à côté, qui ne nie pas une certaine griserie de vivre cette proximité, mais qui ne dit pas pour autant jusqu’où il a pu se sentir complice consentant de la mise en scène. A quelques lettres près, « Le Prince et son image » pourrait devenir « Le Paige et son image », ce qui n’en rend le propos que plus intéressant encore…

Jean-François Dumont


Notes :

1) Isabelle Christiaens (réalisatrice), Jean-François Bastin (journaliste), Michel Rouserez et Michel Boulogne (caméramans), Thierry Feret (preneur de son).

2) Edité par Les Films du Paradoxe, le DVD du film est disponible dans le commerce. Par ailleurs,  à l’occasion des 30 ans de l’élection de Mitterrand, les Editions Couleur Livres sortent une nouvelle édition de l’essai de Hugues Le Paige, « Mitterrand, la continuité paradoxale« .

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