Archives

Loi anti-terrorisme, journalisme et militantisme : enjeux professionnels

09/07/2008

L’arrestation et la détention de la journaliste Wahoub Fayoumi ont suscité de nombreuses questions dont certaines touchent au coeur du métier de journaliste. Dans ce cadre, l’AJP a organisé, le 9 juillet 2008 au Centre de presse international du Résidence Palace à Bruxelles, une soirée-débat notamment consacrée aux enjeux journalistiques soulevés par ce dossier. Les discussions furent riches et les participants nombreux (plus de cent inscriptions), parmi lesquels des journalistes, des magistrats, des juristes, des députés et des citoyens militants.

Reportage vidéo réalisé par Arnaud Grégoire – Katch’a !

A la table des intervenants, Cédric Visart de Bocarmé, procureur général de Liège ; Alain Grignard, commissaire à la Police fédérale, en charge depuis 25 ans de la lutte contre le terrorisme et islamologue ; Jean-Marie Quairiat, magistrat ; Julien Pieret, assistant au Centre de droit public de l’ULB ; Dan van Raemdonck, président d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme, vice-président de la Fédération internationale des Ligues des droits de l’Homme et porte-parole du Comité T ; Marc Metdepenningen, journaliste (Le Soir) ; Jean-Claude Matgen, journaliste (La Libre Belgique) et Mehmet Koksal, journaliste indépendant et membre du Conseil de direction de l’AGJPB et de l’AJP. Absents à ce débat, le parquet fédéral et le cabinet du ministre de la Justice.

La soirée-débat, modérée par Martine Simonis, secrétaire nationale AGJPB/AJP, a été introduite par Gabrielle Lefèvre, journaliste et membre du Conseil de direction de l’association. « L’AJP a souhaité organiser cette soirée afin d’ouvrir largement, et de manière contradictoire, la discussion sur les enjeux professionnels que soulève la couverture des dossiers ‘terroristes’ ».

Point de départ de cette organisation, l’arrestation et la détention de la journaliste Wahoub Fayoumi, dont l’AJP défend les intérêts professionnels. « Faut-il préciser que cela ne signifie pas un quelconque soutien à l’action militante de notre consoeur, qui reste du domaine privé. Mais cet engagement militant nous donne l’occasion d’aborder une réflexion déontologique sur les compatibilités et limites du journalisme et du militantisme. Cette affaire pose aussi de nombreuses questions qui sont autant d’enjeux pour les journalistes professionnels : la législation qui vise à contrer le terrorisme et les méthodes particulières de recherche (MPR) qu’elles autorisent posent aux journalistes, comme à tous les citoyens, des questions graves relatives aux libertés individuelles. Pour les professionnels de l’information, les MPR se heurtent également à la nécessaire protection des sources journalistiques, consacrée dans une loi en avril 2005, et sur laquelle nous n’avons pas tous nos apaisements ».

Témoignage

Soupçonnée d’ »appartenance à une organisation terroriste », Wahoub Fayoumi a fait l’objet de repérages téléphoniques, d’observations, d’écoutes, de saisies et de perquisitions. « Je suis un cas d’école car je suis journaliste d’une part et je suis, de l’autre, en quelque sorte une victime de la loi-antiterrorisme », témoigne la journaliste, avant de relater la manière dont ont eu lieu les perquisitions à son domicile, le 5 juin 2008 à 5 heures du matin. « Plusieurs personnes, je pense six ou sept, sont arrivées chez moi sans me dire précisément de quoi il s’agissait. Elles avaient un mandat de perquisition sur lequel il était écrit : ‘enquête terroriste’. Ca a duré plusieurs heures. Etant journaliste, il y avait aussi des choses professionnelles qui étaient chez moi. J’avais d’ailleurs un reportage en préparation, j’étais en train d’y travailler et j’avais un rendez-vous à 9 heures. Je ne savais pas si je devais appeler la rédaction, si je pouvais le faire. Il s’est avéré que je ne pouvais appeler personne. Certaines choses professionnelles ont été saisies. On me demandait systématiquement ce qui était privé, ce qui était professionnel et on faisait le tri. Plusieurs heures plus tard, m’ayant signifié que j’étais privée de liberté, j’ai dû accompagner les enquêteurs pour un interrogatoire. Sur le chemin, une enquêtrice a reçu un coup de fil de son collègue, lui demandant quels étaient mes postes de travail à la RTBF, mes mots de passe et code d’accès. Je les ai donnés. Le principal, c’était que tout aille au plus vite parce que je ne savais pas que ça allait durer très longtemps. (…) J’étais loin de m’imaginer comment ça s’était passé à la RTBF. Personne ne m’en a rien dit jusqu’à plusieurs jours, si pas une semaine, plus tard. Je vous passe également les détails des interrogatoires mais, même si ça n’a pas de lien direct avec ma profession, beaucoup de pans de ma vie y ont été explorés. D’où la question qui se pose dans ce débat : ‘Cette loi anti-terrorisme, est-ce aussi un prétexte pour poser des questions sur les personnes que vous connaissez et pourquoi vous les connaissez. Je n’entrerai pas dans davantage de détails : ce serait fastidieux et c’est aussi le secret de l’instruction.

J’ai passé trois semaines en détention préventive. J’ai été libérée à deux reprises. A priori, on a admis ce que mes avocats ont plaidé : que le dossier ne contenait pas suffisamment d’éléments probants pour me maintenir en détention et, ils vont plus loin, qu’il ne contenait pas d’éléments pour que je sois inculpée. Ce qui n’a pas empêché un déploiement impressionnant de forces de l’ordre vis-à-vis de quelqu’un comme moi. Mes amis diront que je ne suis pas armée chez moi, que je n’ai pas suivi d’entraînements dans le Zwin ou autre part pour attaquer la police. A posteriori, on se rend compte que je ne suis pas une personne dangereuse mais tout ça a eu lieu. Tout ça a aussi été étalé dans la presse. Une autre question à se poser aujourd’hui est la manière dont la presse a traité l’affaire, surtout dans les premiers jours. En prison, à part la télévision, on n’a pas les journaux. Je n’avais pas d’idée de l’ampleur médiatique que cette affaire a pris jusqu’au moment où j’ai lu des extraits de presse qui me sont parvenus facilement deux semaines plus tard. J’ai été très choquée et je pense ne pas avoir été la seule. Comment se fait-il qu’une série de mensonges et de contrevérités aient été écrites noir sur blanc ? Comment se fait-il que, en tant que journaliste, on ne se pose pas des questions sur la pertinence et la portée de ce que l’on dit ? Comment se fait-il que, les cinq premiers jours, on ait traîné mon nom dans la boue et que l’on ait émis des hypothèses qui n’ont même jamais été formulées par ceux qui m’accusent aujourd’hui ? Comment est-on entré dans ce délire médiatique ? »

Partagez sur