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Loi anti-terrorisme, journalisme et militantisme : enjeux professionnels

09/07/2008

Le débat

Dans la salle, Gérard de Sélys (journaliste RTBF) témoigne de son expérience de militant. « J’ai été journaliste pendant plus de trente ans et communiste du premier jour au dernier. Comment être acteur de la société et être journaliste ? Ma carrière à la RTBF n’a pas été de tout repos. J’étais soupçonné d’être de gauche et on m’a mis au placard comme Wahoub aujourd’hui, qui n’est plus responsable de la production de l’information. Pendant ces trente-deux années à la RTBF, j’ai toujours été militant. J’ai été membre du secours rouge et, à ce titre, ai aidé à défendre des « terroristes » (RFA, IRA, ETA etc…) , ce qui ne veut pas dire défendre leurs points de vue, et j’ai eu beaucoup d’ennuis. » Une des dernières tâches que j’ai accomplies à la RTBF a été de publier une analyse de la « décision cadre » européenne à l’origine de la loi belge de lutte contre le terrorisme. Cet article a été rapidement effacé du site internet de la RTBF sur lequel je l’avais placé. »

Daniel Fontaine (journaliste RTBF radio – vice-président de la Société des journalistes de la RTBF) explique, que de l’intérieur, cette affaire a été vécue en plusieurs temps. « Le jour de la perquisition, ça a été un choc pour tout le monde. Assez vite dans le sillage de l’AJP et de notre hiérarchie, on a voulu s’assurer de la confidentialité des sources. Dans un deuxième temps, on s’est inquiété de la pérennité du contrat de Wahoub Fayoumi, suspendu de facto puisque ne pouvant le prester. On a voulu s’assurer sa réintégration en pensant à l’avenir : son contrat sera-t-il reconduit ? Troisièmement, il y a la question de l’avenir professionnel de Wahoub, au sujet duquel le débat est devenu difficile depuis la publication d’une carte blanche où elle exprime ses opinions. Cela pose la question de l’expression publique des convictions et de la fonction du journaliste. La Société des journalistes de la RTBF a été créée il y a une vingtaine d’années en réaction à l’étiquetage politique qui avait cours. C’est une question de perception du public à partir du moment où on est étiqueté. Cette question fera d’ailleurs l’objet d’un débat interne, début septembre ».

Wahoub Fayoumi répond quelle ne souhaitait pas que cet engagement politique soit publié dans la presse volontairement « mais, dans le cadre d’un dossier terroriste dans lequel trois autres personnes sont concernées, on ne peut pas me demander de ne pas me défendre. A la RTBF, des journalistes ont eu des mandats politiques et ont eu le droit de revenir après une période de placard. Pourquoi ? »

La loi protège les sources mais ne les définit pas : Simon-Pierre De Coster, responsable du service juridique de la RTBF propose de la préciser, clôturant son intervention sur un avis personnel au sujet du journalisme et du militantisme : « Si le journaliste est le chien de garde de la démocratie, il est difficile pour lui de dormir dans deux niches ».

Marc Chamut, président de l’AJP et vice-président de l’AGJPB a conclu cette soirée en soulignant : « Tant que les rédactions ne seront pas peuplées de robots -certains en rêvent, paraît-il-, tant que l’on y rencontrera des femmes et des hommes en chair et en os, il sera permis -et même demandé- aux journalistes d’avoir des idées, de penser, de franchir les limites de la technique. Mais toujours dans le respect du professionnalisme, garant d’une presse de qualité qui remplit sa fonction essentielle dans la démocratie. Un professionnalisme plus affirmé que jamais alors que les médias sont soumis aux feux simultanés de la concurrence, de la technologie, de la mondialisation. L’engagement, le militantisme, pour tout dire le parti-pris, n’ont pas que des contours politiques. Ils peuvent être économiques, culturels, esthétiques, technologiques, voire relationnels, personnels. Franchement déclarés, au moins permettent-ils d’allumer les clignotants professionnels s’il y a lieu. Mais qu’en est-il lorsqu’ils ne s’affichent pas au grand jour ? Le journaliste doit être sur le qui-vive par rapport à son entourage, à ses propres options. Et faire constamment la part des choses. Entre le fait et le commentaire. Entre l’intérêt général et le sien. Entre sa mission et ses préférences. Entre l’information et ses convictions.

Le professionnalisme et la déontologie, dans nos métiers de l’information, ne sont pas constitués de recettes faciles, de formules à l’emporte-pièces. Voilà pourquoi des débats comme celui-ci sont nécessaires. Pourquoi la formation des journalistes revêt une importance considérable. Pourquoi aussi il est urgent que le futur Conseil de déontologie francophone sorte du labyrinthe juridico-institutionnel… Si un jour les ordinateurs se mettaient à écrire, à parler, à filmer à notre place? Tout ne serait pas réglé pour autant. La vigilance resterait de mise. Sur le thème « Militantisme et programmation des rédactions automatisées », nous ne serions pas moins nombreux à nous retrouver ici… Mais le journalisme n’est pas près de se robotiser! Ni par l’invasion informatique, ni par les effets pervers du conformisme, ni par la primauté de la technicité. Et d’ailleurs, l’Association des Journalistes Professionnels y veille. »

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