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Campagne PPP

Campagne indépendants : la rencontre de Bruxelles

09/06/2005

Revenons à Bruxelles, où on dénombre 200 journalistes indépendants, soit nettement plus que dans chacune des villes étapes de nos rencontres précédentes. La vingtaine de consœurs et confrères qui avaient fait le déplacement ce 9 juin au Centre international de presse semblent pourtant bien refléter la diversité des médias installés dans la capitale. Même si l’on peut regretter leur petit nombre, proportionnellement aux taux élevés de participation constatés en Wallonie. Bruxelles serait-elle une oasis du bonheur indépendant à côté du désert du malheur wallon ? Voire. Car, faute de multiplier les témoignages personnels, la prise de parole s’est abondamment réclamée de son caractère exemplatif au nom d’une foule de situations similaires vécues par d’autres.

Et c’est le mépris de la part du « système » qui scandalise d’abord : « Nous n’existons pas ». A commencer par la précarité du statut, quasiment incontournable pour qui démarre dans la profession, mais dont quelques participants déclarent ne plus pouvoir sortir, bien malgré eux : « Comme nous sommes payés au signe ou à la ligne et que les articles ont tendance à être de plus en plus courts, nous sommes rétribués nettement moins qu’il y a quelques années. Pourtant, le travail reste le même et il nous prend autant de temps si nous voulons maintenir la qualité ».
Des tarifs minima et recommandés existent, mais pas toujours appliqués. « Le journalisme est une des seules professions où il est impossible de fixer et de négocier ses prix », souligne une journaliste. « Et nos maigres barèmes regroupent de plus en plus de prestations : on nous demande un produit fini, mis en forme et avec photo ». « Nous faisons de laides photos… », ironise un autre. « Nos papiers sont parfois amputés de moitié à cause d’une publicité qui débarque ! C’est alors notre paiement qui se coupe aussi en deux ! » A quoi sa voisine ajoute : « Quand nous arrivons à être payés sans retards… ».

Si un journal n’est pas une entreprise comme les autres, son objectif de rentabilité rejoint aussi celui des indépendants, nombreux à connaître des fins de mois difficiles. Mais qui dit rentabilité dit aussi incompatibilité avec qualité de l’information. D’où le danger de ne plus fournir qu’une info compilée « à la va-vite », tirée du Web, parce que cela prend moins de temps que l’investigation, le recoupement et l’enquête.

Ne pas accepter de rentrer dans ces logiques, c’est se mettre hors circuit. Une journaliste présente en a fait plusieurs fois l’expérience à ses dépens. Les candidats ne se pressent-ils pas par dizaines au portillon, comme le rappellent cyniquement nombre de patrons de presse ? Que dire encore des stagiaires qui, théoriquement, passent dans les rédactions pour apprendre le métier mais qui, d’entrée de jeu, sont envoyés sur le terrain ? Bénévolement. « Cela fait quatre mois que plus aucun photographe indépendant n’a travaillé pour Le Soir, puisque des stagiaires s’en chargent gratuitement », explique un salarié inquiet pour ses collègues indépendants. « En 17 ans, le tarif d’une photo n’a pas augmenté. Or, le prix du matériel a triplé : un boîtier professionnel de qualité coûte aujourd’hui 3.500 euros€. La situation est également difficile en raison des trois bases tarifaires qui existent : celles de la Sabam et de la Sofam, qui sont recommandées, et celle de AJP qui est obligatoire. Mais elles ne sont pas toujours appliquées. Et que dire des banques de données qui fournissent des photos gratuitement ? Pourquoi ne pas obliger l’éditeur à payer dès qu’une photo est publiée ? »

Journalistes, photographes, cameramen indépendants : tous dans la même galère. Le seul cameraman de l’assemblée souligne en outre la contrainte de la disponibilité, rendant impossible toute activité complémentaire. « On t’appelle une fois, deux fois et, si tu n’es jamais là, on ne t’appelle plus ».

Interdire les indépendants ?

On l’a dit, l’aspect humain est fortement pris en compte dans les récriminations. Le manque d’attention, l’absence de considération font mal dans les relations avec les rédactions : « On est inexistants. On ne nous donne pas d’adresse e-mail au nom de l’organe de presse, on ne nous invite pas aux réunions, on refuse de nous abonner au journal, on nous oblige à débourser pour avoir accès aux archives payantes sur Internet. On ne nous rembourse presque plus nos frais de téléphone et de transport (Super, ton reportage ! Mais tu paies ton avion ou ton Thalys, bien sûr !). Bien sûr, nous pouvons déterminer nous-mêmes nos horaires, mais le volume de travail est tellement important, si nous voulons nous en sortir, que cet avantage reste théorique ». La spécialisation est-elle la solution ? « Si on a un créneau, cela peut aller, mais avec le risque d’y rester enfermé. Par rapport au proche passé, les années de disette sont de plus en plus nombreuses et de plus en plus difficiles dans cette profession ». Un autre participant nuance : « Si certains font le choix de la précarité, c’est parce qu’ils ont fait le choix de ce qu’elle implique. Parfois, il faut se tourner vers des activités qui ne sont plus nécessairement journalistiques ». Haro aussi sur les écoles « qui nous préparent très mal à cette réalité du marché. Quand on entre dans la vie active, c’est avec une idée totalement erronée de ce qu’on va subir ».

L’idée vient alors d’organiser cette précarité, en créant par exemple une agence de type Smart, spécifique aux journalistes indépendants, ou encore un statut du journaliste indépendant inspiré du statut d’artiste français. « Et si on interdisait les journalistes indépendants ? » Solution radicale, mais traduisant l’état d’esprit général. Une journaliste au chômage hésitant à reprendre un statut d’indépendant s’est ravisée : « Dans ces conditions, j’y réfléchirai encore».

L’assemblée de Bruxelles propose encore une révision de la grille des tarifs ou, en matière d’aide à la presse, un contrôle public préalable sur les éditeurs en matière de rémunérations. Peu solidaires, les indépendants ? La rencontre du Résidence Palace a une fois de plus démontré la volonté du contraire. En témoigne ce confrère chevronné venu « dire aux jeunes que tout n’est pas toujours noir. Je suis devenu indépendant en raison d’une restructuration. Mais je suis bien payé, y compris pour des articles qui ne sont pas publiés ». Certes, on a même rencontré des indépendants heureux. Mais combien de déceptions, de vexations et d’années de galère pour tant d’autres ? Ah, l’amour du métier…

Laurence DIERICKX et Dominique NAHOE

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