Campagne PPP

Campagne indépendants : la rencontre de Liège

17/02/2005

Succès de foule de la première rencontre organisée le 17 février dernier aux bons soins de la section de Liège de l’AJP, puisqu’une trentaine de journalistes indépendant(e)s avaient fait le déplacement à la Maison de la Presse : indépendants de longue date, jeunes confrères et consoeurs travaillant pour les nouvelles éditions de la presse écrite régionale, collaborateurs et collaboratrices de réseaux privés de radios et de télévision locale. Etat des lieux et pistes de solutions.

Introduite par le président Philippe Leruth et par Daniel Conraads pour la section de Liège, la secrétaire nationale Martine Simonis a rappelé tout d’abord les cinq publics cibles de cette campagne de défense des journalistes indépendants, pouvant déboucher sur la rédaction d’un « Livre Noir » : les jeunes face au choix des études supérieures, les écoles de journalisme, les éditeurs de presse écrite et patrons des radios et télévisions, les différentes autorités politiques compétentes dans ces matières et, bien sûr, les journalistes indépendant(e)s. L’objectif de la campagne est d’améliorer les conditions de travail et de rémunération des professionnels indépendants. La publication d’un « Livre Noir » est envisagée (infra).

Des tarifs de misère…

Première constatation, le non respect par les éditeurs de journaux de la convention de 1987 conclue avec l’AGJPB qui impose pourtant en presse écrite un barème minimal indexé de 0,88 € par ligne de 60 signes : la tarification à 0,30 € ( !) devient monnaie courante. Isolés et mis en concurrence, les indépendants ne peuvent imposer le tarif obligatoire. On constate aussi une autre dérive, celle du forfait à l’article, en ce compris les photos fournies par le journaliste et même en cas d’article à plusieurs entrées, considéré comme un papier unique par les éditeurs. Un organe de presse liégeois descend ainsi à 30 euros par « article » ! Les photographes témoignent à leur tour : la tendance actuelle en matière de mise en page multiplie les « photos-portraits », de format réduit. Mais le tout pour un prix unique et dérisoire . Et en télévision locale, le forfait par reportage, quelle que soit la durée de sa fabrication, n’est pas l’exception.

A cela s’ajoute le rejet de la plupart des remboursements de frais. L’informatique (PC, ADSL), le fax et le GSM sont pourtant devenus indispensables dans le métier. Le plus souvent, seuls les frais kilométriques (on cite le barème moyen de 0,125 € / km), et parfois les frais de téléphone, sont remboursés. Etant entendu par l’éditeur que tous les autres débours s’entendent « compris » dans le paiement forfaitaire de l’article ! Autre pratique des années 2000, celle du non paiement de l’article ou photo commandés mais non publiés, alors que la règle stipule la rétribution de toute commande, publiée ou non . Là aussi, il faut rappeler les règles. La précarité et la paupérisation s’installent.

Réagir ?

Première proposition : réfléchir à l’instauration d’un « revenu minimal », afin de pouvoir, à tout le moins, faire face aux dépenses croissantes d’investissement en matériel professionnel, outre les cotisations sociales et impôts.

Deuxième proposition : faire appliquer effectivement et dans tous les cas la convention qui interdit de rémunérer des collaborateurs free-lance en dessous du tarif de base. Il importe aussi d’exiger une convention écrite particulière entre le journaliste indépendant et l’organe de presse, ce qui, semble-t-il, est rarement le cas aujourd’hui.

Troisième proposition : publier, par région, les rémunérations moyennes des indépendants telles qu’elles sont pratiquées dans les faits. L’opinion publique doit savoir quel est aujourd’hui l’état social de la « presse libre » dont se targue notre démocratie.

Quatrième proposition : améliorer le statut social et fiscal du journaliste indépendant (sur base notamment du statut français des « pigistes »). La question est complexe et elle demandera une étude juridique approfondie à l’issue des rencontres. Plus particulièrement, il importe de renforcer la protection sociale, en ce compris l’ouverture d’un droit à un revenu garanti en cas d’interruption d’activités. Et il serait peut-être opportun de créer au sein de l’AJP une section spécifique regroupant les indépendants.

Stagiaires-étudiants : action spécifique

Est ensuite évoqué l’abus de la mise au travail des stagiaires-étudiants dans les rédactions. Par définition, ils ne sont pas rétribués, mais on constate une double évolution, particulièrement perverse, qui touche pratiquement toute la presse, écrite et audiovisuelle :
le stage n’est plus considéré comme ce qu’il doit être, c’est-à-dire un moment de formation pratique, sous la houlette d’un(e) professionnel(le) chevronné(e), qui ne lancera les stagiaires en première ligne que périodiquement et sous son contrôle a priori et a posteriori. Le stage consiste aujourd’hui à « utiliser » gratuitement des candidats journalistes et cameramen, à les impliquer immédiatement dans des couvertures répétées, parfois complexes, délicates ou risquées, sans back-ground, sans expérience et sans encadrement. Et de répéter le processus – le « système », pourrait-on dire – lors de l’arrivée de la prochaine fournée de stagiaires. Le tout avec la complicité involontaire des écoles de journalisme qui imposent des stages de longue durée à leurs étudiants. Il importe de réagir, d’autant que le processus de Bologne poussera à un allongement général des études supérieures avec accroissement de la durée des stages en entreprises.

Pourquoi ne pas organiser le parrainage de stagiaires par des journalistes indépendants, à condition de concevoir pour ces derniers une sorte de rémunération de cette mission ?
Cette question des journalistes stagiaires est d’ores et déjà à l’étude et la situation ainsi décrite en province de Liège ne peut que renforcer la nécessité de réformer les pratiques actuelles. Une nouvelle action de sensibilisation s’impose à l’Association, en direction des écoles de journalisme.

Un projet de Livre noir

Toutes ces situations vécues doivent-elles déboucher sur un « Livre Noir » des indépendants, en soutien des revendications et des demandes de réformes ? L’assemblée s’y déclare favorable. Il serait illustré de cas concrets pouvant toucher l’opinion publique, comme, par exemple, la description des conditions d’exploitation de jeunes pigistes lors des longues journées du procès Dutroux à Arlon où le simple forfait quotidien de 50 € n’était pas exceptionnel, et cela tous frais compris, y compris l’hébergement, et quelle qu’ait été l’amplitude de travail. Ce « Livre Noir » se présenterait de la manière la plus informative possible, il serait illustré de témoignages vivants et aptes à intéresser les lecteurs, il ne refuserait ni l’humour ni la déclinaison multimédias. Sa phase d’élaboration passant par exemple par l’ouverture d’un forum spécifique sur le site web de l’AJP, véritable support de la campagne engagée.

Enfin, les journalistes indépendant(e)s de la province de Liège considèrent que les confrères et consoeurs salariés peuvent grandement les appuyer, d’une part parce que nombre d’entre eux ont connu la situation précaire du free-lance, mais aussi parce que les sociétés de rédacteurs peuvent constituer un contre-pouvoir efficace au sein même des organes de presse en contribuant à la diffusion du « Livre Noir », dans l’intérêt même de l’ensemble de la profession.

Dominique NAHOE

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